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Second album « Holding on »
Jazz & People, octobre 2022 en écoute ICI
Le saxophoniste débarqué dans le game du jazz français sans prévenir est de retour avec « Holding On », album de la libération post-Covid et album de la confirmation de son talent. Animé par une urgence intacte, le saxophoniste signe un disque de rage et d’espoir, de conviction et d’engagement, une lumière dans l’incertitude et la noirceur des temps, porté par le drumming d’un maitre de la batterie chauffé à blanc, Gregory Hutchinson.
Tournée quartet avec :
Plume, saxophone alto
Leonardo Montana, piano
Géraud Portal, contrebasse
Antoine Paganotti ou Greg Hutchinson, batterie
Comme surgi de nulle part, ce musicien avait mis tout le monde d’accord avec la sortie de son premier album, « Escaping the Dark Side ». Sa ferveur, son engagement, sa mystique ont emporté l’adhésion et posé question. Pourquoi n’avait-on pas entendu plus tôt ce saxophoniste si intense ? Comment un tel musicien avait-il pu rester dans l’ombre aussi longtemps ?
Plume n’est pas un musicien pressé ; il est simplement déterminé. Déterminé à se faire entendre au niveau qu’il estime devoir être le sien. Plume est de ces musiciens pour qui il vaut mieux ne pas jouer ou ne pas enregistrer si l’on n’est pas au meilleur de ses moyens. Il sait ce qu’il veut dire, il sait ce qu’il a à dire. Plume a appris le jazz avec ce degré d’exigence. Au Berklee College of Music à Boston, où il est tombé en arrêt devant la génération des Walter Smith III, Kendrick Scott, Christian Scott, Esperanza Spalding, Logan Richardson — la sienne, avec qui il a plongé dans la musique noire américaine, mais aussi au fameux Wally’s Café qui, depuis 1947, est, à Boston, le lieu de transmission où les nouvelles générations viennent se frotter à l’expérience de la scène. Plume y a joué pendant des mois dans le groupe du trompettiste Jason Palmer, et noué des liens avec toute une génération qui fait pulser le jazz actuel.
Plume a su attendre son heure mais, comme tant de musiciens, il a dû faire face à une autre difficulté. A quoi se rattacher quand on n’a plus l’occasion d’exercer son art ? Tous les musiciens qui ont traversé la pandémie de Covid 19 ont été confronté à cette question. Que faire quand tous les efforts que l’on entreprend au quotidien – travailler son instrument pour parfaire sa technique et ses réflexes ; écrire de nouvelles compositions ; enrichir son répertoire par l’assimilation de morceaux supplémentaires — sont destinés à se produire en public et que l’on en est privé. Tous les artistes vous le diront : jouer pour soi n’est pas une fin en soi. Le jazz, en particulier, qui tire sa richesse et sa vitalité de l’échange et de la stimulation entre musiciens par le biais de l’improvisation, s’est retrouvé bien seul. Et ce ne sont pas les jams par écran interposé qui pouvaient se substituer à l’excitation d’être ensemble. Tenir bon, donc, trouver des raisons de s’accrocher, malgré le silence ambiant et la sensation d’un monde qui tourne à vide — Plume, comme tous les musiciens, a été confronté à cette épreuve, à un moment particulièrement critique puisqu’il venait de prendre enfin son envol, grâce à la parution de son premier album, « Escaping the Dark Side ».
« Holding On » est le disque de la libération. Il irradie d’une énergie trop longtemps contenue et réfrénée. Il est habité par la foi d’un musicien qui, dédié à son art, a rongé son frein. Mais « Holding On » est aussi le disque de la confirmation. Celui qui vient, s’il le fallait, conforter l’idée que la réputation de Plume n’est pas un feu de paille mais destinée à durer. Que le saxophoniste ait choisi d’enregistrer ce second album avec l’un des batteurs les plus réputés au monde — Gregory Hutchinson — est un signe supplémentaire de sa valeur et de sa capacité à dialoguer avec les plus grands. Porté sur les fonts baptismaux du jazz par Ray Brown et Betty Carter, Gregory Hutchinson se range, en effet, au rang de grands maitres contemporains de la batterie. Révélé auprès de Roy Hargrove au milieu des années 1990, il a longtemps accompagné le regretté Joe Henderson et la chanteuse Dianne Reeves. Le saxophoniste Joshua Redman en a fait son batteur de prédilection, en quartet comme en trio, et ce n’est pas une surprise tant « Hutch » tient en jeu toute la tradition de son instrument au bout de ses baguettes et possède un tempérament de feu qui le place au coeur des échanges et des dynamiques, avec une fougue constante et un engagement de tous les instants. Il n’en a pas privé Plume, tout au contraire, cherchant à servir le propos de la musique et à mener le saxophoniste jusqu’à ces strates élevées où, porté par le drive de la batterie, le soliste semble littéralement décoller.
À leurs côtés, Plume a choisi deux musiciens auquel il attache son talent depuis un moment, le pianiste Leonardo Montana et le contrebassiste Géraud Portal. Du premier, on pourrait vanter la polyvalence tant il se fait entendre dans des projets d’un grand éclectisme stylistique. Mais on préfèrera louer l’audace de ses interventions solistes et sa capacité à rester sur la brèche à chacun de ses solos, qui donne à chacun un caractère de surprise. Quant à Géraud Portal, on a appris, à mesure des années, la solidité de ce contrebassiste admirateur de Charles Mingus, dont la constance, l’assurance et la sonorité puissante, à l’ancienne, font autorité, et combien il est — à commencer par Jacky Terrasson qui en a fait son accompagnateur attitré — de ces musiciens qui posent un cadre dans lequel la musique peut se déployer. Sa parfaite entente avec Gregory Hutchinson participe de la réussite de ce disque qui donne à entendre un groupe qui va au-delà du simple assemblage de personnalités et manifeste sa cohérence et son unité dans les phases de jeu collectif comme dans les moments de solo.
« Holding On » est un disque de survie. Un disque de rage et d’espoir, une musique de conviction et d’engagement, une lumière dans l’océan de l’incertitude et dans la noirceur des temps. Si l’album se place sous les auspices de l’amour et de la spiritualité par une reprise de Naima de John Coltrane, dans un arrangement original de Plume, « Holding On » embarque ensuite l’auditeur dans un trajet qui le saisit et ne le lâche plus jusqu’à la dernière note, une traversée d’émotions fortes et de profonde humanité. Des premiers accents de Revenge of the Mute Swan dont l’urgence crépite sous la batterie de Gregory Hutchinson jusqu’à Reverence, qui s’offre comme une ascension vers la lumière et la plénitude du groove, en passant par les tensions et les appels du morceau éponyme ou les voluptés mystérieuses d’Oksana, « Holding On » vibre d’un bout à l’autre d’un souffle habité et d’un engagement de tous les instants. Il se clôt par Yin & Yang, un duo d’alto sur un tempo à tombeau ouvert, dans la grande tradition des chases, à l’occasion duquel Plume a décidé mettre en évidence le talent de son confrère Matt Chalk, saxophoniste originaire de Kansas City qui a posé ses valises depuis quelques mois à Paris et ne manque, lui non plus, ni de fougue, ni de présence. Preuve que Plume est loin d’avoir fini de nous surprendre…